Dernière mise à jour : jeudi 25 décembre 2014

Émilien, mon Grand-Père

« L'autorail était rouge et jaune.

Le prendre, devenait un rituel. J’étais déjà en vacances depuis plusieurs semaines mais, en fait, elles ne commençaient que ce jour-là, à cette minute précise où je prenais place dans le compartiment. De la paume de la main, je caressais doucement la banquette, discrètement. Je savourais déjà pleinement l'heure qui allait passer ; le temps s'était arrêté, le monde n'existait plus : j’allais vivre au rythme des noms des gares criés à chaque arrêt par des Chefs de gare que j’idéalisais. Curieusement, pour moi, ils étaient tous grands, très élégants dans leur uniforme bleu marine ; ils portaient tous une épaisse moustache blanche et une casquette à quatre étoiles.

Le train avait une odeur de train.

Je me sentais chez moi parmi ces voyageurs. Mon grand-père était Chef de gare, donc le train m’appartenait un peu.

Pour la dernière fois, le convoi redémarra. Pour la dernière fois, il s'arrêta. J’avais reconnu le passage à niveau. Les freins, comme d'habitude, avaient crié leur détermination. La gare était là, immobile, semblable à toutes les autres et pourtant différente. Sur le quai, le Chef de gare était bien grand, élégant, à quatre étoiles et à moustache.

Mais, attention, moi, je ne sortirai pas par la même porte que les autres; pas question de subir l'humiliation du ramassage des tickets ; je me dirigeai vers le portillon, passeport réservé pour la cour, puis les appartements de fonction. A cette seconde précise, le Chef de gare devenait mon grand-père !

Cette cérémonie, je la vivais chaque année, à chaque « grandes vacances », avec le même plaisir. Bien entendu, tous les deux ou trois ans, la gare de destination, donc la ligne empruntée, changeaient : le grand-père prenait de l'avancement et les étoiles s'accumulaient sur la casquette. Curieusement, je constatais que le nombre d'employés était proportionnel aux étoiles, comme les bâtiments de la gare, les dépendances et le nombre de trains qui passaient. Plus y avait-il d'étoiles et plus les trains étaient beaux ; même les rapides s'arrêtaient maintenant.

Les vacances étaient bercées de la musique cyclique des passages brefs des convois rapides, des arrêts répétés des omnibus, des coups de sifflets de départs. La respiration lente des longues machines noires et fumantes à l'arrêt, s'était faite de plus en plus rare. L'odeur du charbon avait petit à petit disparue ; restait le silence inchangé de l'entre deux trains.

Une nostalgie faite du soulagement d'une peur en moins, avait remplacé les « bêtes humaines », mais un jour, le silence s'était fait plus long, plus dense. Quand on arrivait à la gare de destination, on n'était plus arrivé. Le grand-père était toujours là, sur le quai, mais « encivilé » : le costume bleu marine était absent, comme les étoiles sur la casquette. Je passais désormais la porte aux billets, et il me fallait marcher, traverser le village, pour atteindre la maison : le Chef de gare n'était plus qu'un ancien Chef de gare. Avec le signal prévenant le départ du dernier train, l'heure de la retraite avait sonné. »

Christian PETIT

Extrait du chapitre 1 du roman

« La contradiction »

Copyright 1998

 

Depuis longtemps, je pensais, qu’un jour (!), je « ferai » une maquette de l’une des gares de mon grand-père… et je ne le faisais pas. Jusqu’à ce jour de Noël 2001, où le Père Noël (alias mon épouse et mes deux fils) a décidé de me donner un coup de pouce en m’offrant quelques rails, un transfo et un locotracteur diesel C61004.

Après quelques réflexions, ma décision était prise : ce serait la gare de Cartigny, dans le département de la Somme, où mon grand-père a été chef de gare dans les années 60.

Bien entendu, j’ai pris quelques libertés avec la réalité de l’époque (même, beaucoup de liberté !) : l’important est de recréer une ambiance et non d’être à tout prix réaliste.

Si vous souhaitez connaître la réalité actuelle de Cartigny, visitez son site internet : http://cartignydemain.unblog.fr/

Moi... à la même époque

La gare de Cartigny, toujours à la même époque

La gare de Cartigny,

le 8 octobre 1873

Pour en savoir plus,

cliquez sur les images

À la recherche de mon grand-père